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Satirino records · Das Wohltemperierte Klavier

J. S. Bach, 1685-1750

Le Clavier bien tempéré - BWV 846-893 

Kenneth Weiss    clavecin

Satirino records SR141 - 4 CDs - sortie le 24 mars 2014

Extrait du récital de Kenneth Weiss du 2e livre Clavier Bien Tempéré à la Cité de la musique à Paris le 16 mars 2014. Ce concert est disponible en intégral via ce lien:
https://youtu.be/FKNpEnYl968

Enregistré à la Cité de la musique en juin et décembre 2013 sur le clavecin Ruckers-Taskin de la collection du Musée de la musique.

Cm Logo Paris

Sound engineer, producer, editing, mastering
Jiri Heger

Accords
Sorge 1744, Karoly Mostis

Préparation et maintenance du clavecin
Jean-Claude Battault

Design
le monde est petit

Images
© Moritz Kerkmann, Arthur Forjonel, Jean-Marc Anglès

Remerciements
Jean-Claude Battault, La Cité de la musique, Jiri Heger, Supercloclo, Aline Pôté & Moritz Kerkmann

Nous tenons à remercier le Théâtre de Caen, le Festival de Lanvellec et du Trégor & le Festival de Villevieille - Salinelles pour leur soutien et leur confiance.

Revues de presse

Choc Classica Classica, juin 2014, Philippe Venturini

​Bach sur Ordonnance​

"Un Prélude et Fugue par jour apaise les tensions existentielles" prescrit Kenneth Weiss en médecin avisé. N'hésitons pas à le consulter. Régulièrement.

"...le rayonnement d'une lecture les plus solaires de la discographie... le plus sensible des discours. Dès le fameux Prélude N°1 du Livre I, Kenneth Weiss dévoile son jeu : celui de la modestie comme il l'annonce dans son texte mais aussi de la lisibilité polyphonique (jamais de registrations chargées), de la fluidité des phrasés et de la souplesse du tempo. Ainsi n'hésite-t-il à faire attendre un premier temps pour signaler une modulation ou une carrure. Jamais mécanique (le tournoiement obstiné des doubles croches du Prélude n°2), souvent primesautier (les sauts réguliers des croches de la main gauche du Prélude n°5), parfois hâbleur avec des airs de Scarlatti (Prélude n°5, Livre II) mais aussi capable de gravité sans pourtant traîner les pieds (Fugue n°8, Livre II), Kenneth Weiss convainc toujours des effets positifs de cette oeuvre."

Diapason Logo 2  Diapason 5 D

juin 2014, Philippe Ramin

"Les interprètes maîtrisant la totalité du Clavier bien tempéré ne sont pas légion... Kenneth Weiss joue le très beau Ruckers-Taskin conservé au Musée de la musique... et fonde la palette sur la profondeur des résonances et l'éclat des couleurs... Peu d'interprètes ont su à ce point en explorer le timbre si prenant. Dans le Livre I, on est frappé par la clarté du dessin, l'évidence des tempos qui privilégient l'expressivité, même dans les Toccatas introductives... une saine logique guide les fugues, à la fois lisibles et merveilleusement chantantes. Pari gagné. La caractérisation est décidée, le toucher toujours moelleux et d'une fine éloquence.

"Ce naturel de la projection rend les préludes délicats (Mi bémol mineur, Fa mineur) éminemment émouvants et les fugues archaïsantes d'une tranquille beauté... Weiss préfère exploiter les résonances de son instrument en prêtant une extrême attention aux équilibres des tessitures. Ainsi le Prélude en do dièse majeur déroule ses figures luthées dans une atmosphère rêveuse mais bien ancrée sur la basse, le thème bondissant de la Fugue en ré majeur exploite la vie de la note plutôt que son attaque et rend le contrepoint souple et expressif."

Scherzo Logo

juillet - août 2014, Eduardo Torrico

"El norteamericano Kenneth Weiss es uno de los músicos más serios, rigurosos, documentados y capacitados con los que he tenido la fortuna de toparme. Sus lecturas bachianas (exceptionales sus dos registros de las Variaciones Goldberg) y scarlattianas son una ineludible referencia. Con la grabación de los dos libros del Clave bien temperado, usando un Ruckers-Taskin original perteneciente al Musée dela musique de París, Weiss no sólo rinde homenaje a Bach, sino que logra erigir un auténtico monumento musical."

["L'Américain Kenneth Weiss est l'un des musiciens les plus profonds, les plus rigoureux, les plus savants et accomplis que j'ai jamais eu la chance de rencontrer. Ses lectures de Bach (ses deux enregistrements des Variations Goldberg sont exceptionnels) et de Scarlatti, sont essentielles et font figure de référence. Avec cet enregistrement des deux livres du Clavier Bien Tempéré, sur le Ruckers-Taskin, clavecin historique du Musée de la musique à Paris, Weiss non seulement rend hommage à Bach mais réussit à forger un véritable monument musical".]

Texte de Kenneth Weiss

Jouer les « 48 » est une vaste entreprise qui met en œuvre le toucher, l’ouïe, la pensée analytique, le rythme et une bonne dose de mysticisme. Je ne connais pas d’autre composition musicale qui, par l’interaction du corps et de l’esprit, fasse surgir un tel sentiment de vérité spirituelle.

J’aborde ce recueil hors du commun avec beaucoup de modestie. Chaque doigt doit se muer en acrobate agile, en chanteur de bel canto, et jouer en équipe ; l’esprit doit veiller en permanence à ce que le cœur et les oreilles restent à l’écoute. Et comme selon le proverbe anglais une pomme par jour éloigne le médecin, on peut dire qu’un « Prélude et Fugue » par jour apaise les tensions existentielles.

Beaucoup trouvent que le Livre II va plus loin que le Livre I. J’aime imaginer que le deuxième voyage autour du monde de Bach était planifié bien à l’avance, qu’il savait que ce serait sa dernière grande expédition dans ces territoires, et qu’il souhaitait revisiter et amplifier tout ce qu’il avait pu faire auparavant.

En tant que voyageur solitaire dans les contrées lointaines de ré dièse mineur, de fa dièse majeur, de sol dièse ou de si bémol mineur, je n’y rencontrai pas une âme connue, et ne connaissant pas un mot du langage local je dus tailler ma route tout seul, et trouver par moi-même les moyens de ma quête. Bach avait imaginé et créé ces paysages, et c’est avec bonheur que je passai des années à suivre ses indications pour me repérer dans ces territoires inconnus. Lors de ma seconde traversée du Livre II et en revisitant les mêmes régions des 24 tonalités, je reconnus les paysages et les dialectes de ma première visite, et je pus alors moi aussi poursuivre et enrichir mes découvertes.

Le Clavier bien tempéré de Bach est un cadeau à l’humanité. Il est capable de nous instruire et de nous nourrir, de nous inspirer et de nous guérir. De génération en génération, à travers les naissances, les disparitions, les amours et les morts, il reste là, intact, prêt à laisser chacun tenter de l’apprivoiser et de le chérir.

Kenneth Weiss

Texte de présentation

Figés dans leur position de chef d’œuvre, pour ne pas dire du chef d’œuvre, selon les canons de la musique occidentale, les « 48 » méritent qu’on rappelle leur origine. Bach ne les avait certainement pas conçus pour être joués tous à la suite en une sorte de marathon musical destiné à être interprété et écouté avec respect et émerveillement. Il n’avait pas davantage prévu un « bon » ordre dans lequel il faudrait les écouter. En revanche, au milieu d’un brouillard d’incertitudes et des croyances erronées qui en découlent, certains aspects des intentions de Bach sont clairs.

L’édition de 1722 du Clavier bien tempéré comporte une courte page d’introduction, alors que le compositeur n’avait pas encore imaginé une suite : le second livre fut composé dans la décade suivant l’année 1735, année de la publication de la 2e partie du Clavierübung. Cette introduction au premier livre du Clavier bien tempéré, bien que brève, présente les différents objectifs du recueil, mais leur formulation n’est ni aussi succinct que celle qu’on trouve dans le Clavierübung (Pratique du clavier), ni aussi élégante que celle de l’adresse « au lecteur » des Essercizi de Domenico Scarlatti. Mais on y comprend clairement qu’il avait un objectif semblable à l’esprit : « à l’intention des jeunes musiciens avides d’apprendre et de s’améliorer » écrit-il. Mais ce qui allait devenir les « 48 » avait un but supplémentaire : écrire des Préludes et Fugues « dans tous les tons et demi-tons, en utilisant aussi bien la tierce majeure Ut Re Mi que la tierce mineure Re Mi Fa ».

Il convient de développer un peu ces deux points. Le compositeur Ernst Ludwig Gerber (1746-1819), dont le père Heinrich Nicolaus Gerber fut un élève de Bach, écrivit dans une rubrique sur Bach dans son Lexicon der Tonkünstler de 1790, qu'un aspect important de la technique enseignée par Bach consistait en l’usage de doigtés jamais employés avant lui. Alors que les commentateurs ont concentré leur attention sur l’utilisation de toutes les tonalités majeures et mineures, et pour la plupart de façon erronée jusqu’à récemment, la question des doigtés avait été négligée : le premier livre lui-même des « 48 » donne déjà sous les doigts une sensation nettement différente de celle des rythmes mécaniques du style « concerto » qu’on trouve dans le Concerto Italien ou dans certains des Préludes des Suites Anglaises, sans parler des Toccatas. Cette sensation est aussi différente de celles que peuvent procurer les mouvements de « style brisé » des Suites françaises ou les Allemandes des Partitas, avec leurs légers contrepoints articulés entre des accords arpégés comme pour le luth. Le Livre II pousse cette différence encore plus loin.

Sur le plan de la technique des doigts, Bach n’était pas le seul à adopter une nouvelle approche basée sur l’utilisation accrue du pouce comme pivot, pratique défendue par plusieurs spécialistes du clavier dans les années 1720, parmi lesquels Rameau dans son importante Méthode de 1724. Onze des Préludes du Livre I (manuscrit de 1722 mentionné plus haut, actuellement à la Staatsbibliothek de Berlin), figuraient déjà dans le Clavier-Büchlein qu’il écrivit pour son fils Wilhelm Friedemann. Il y indique certains doigtés qui nous donnent une idée des exercices qu’il avait imaginés pour habituer ses mains à cette façon de jouer.

Pour ce qui concerne l’utilisation de toutes les tonalités, la vision traditionnelle était biaisée par l’approche téléologique qui suggérait qu’on était « enfin » arrivé au tempérament égal, avancée non moins considérable que la découverte de la perspective en peinture. Bach n’était effectivement pas le seul à être fasciné par une séquence de pièces basées sur chaque demi-ton : il a vraisemblablement eu connaissance du recueil d’exercices de basses chiffrées dans toutes les tonalités que Mattheson avait publié en 1719 à Hambourg, ville où il résidait lui-même cette année-là. Dans sa page titre Bach ne fait en réalité que se conformer à la convention de la nomenclature allemande lorsqu’il souligne les deux sortes de tierces dans sa brève présentation, même s’il convient de noter qu’il encadre celle-ci d’une allusion aux anciens hexacordes passés de mode, comme pour souligner un progrès de la pensée musicale.

Pourtant cet aspect du recueil trouve des échos très particuliers si on se réfère à la recherche de la fin du vingtième siècle sur les tempéraments utilisés par Bach, recherche qui a mis au jour une quantité de méthodes d’accords (Werckmeister, dont le nom est particulièrement associé à l’expression « bien tempéré », Silbermann et Vallotti, entre autres), pour lesquels les tierces majeures comme mineures ont toutes des valeurs légèrement différentes, ce qui donne à chaque tonalité une nuance particulière. En termes plus courants, dans notre tempérament « égal » moderne où tous les intervalles ont la même valeur dans toutes les tonalités, aucune tonalité n’est vraiment mauvaise, mais aucune n’est vraiment bonne puisque il n’y a aucun intervalle parfaitement juste. Dans les tempéraments aux XVIIe et XVIIIe siècles, chaque tonalité a sa personnalité propre : avec les dièses elles sont souvent brillantes, éclatantes et retentissantes ; les tonalités autour de do majeur, sont résonnantes et pures, et les tonalités en bémols, parfois douloureuses, avec des tierces mineures resserrées. La largeur variable des tierces est fondamental dans ce processus, car le « battement » est plus ou moins rapide selon la valeur choisie. La tierce majeure n’a pas de battement lorsqu’elle est acoustiquement pure, mais au fur et à mesure qu’on s’écarte de cette valeur – ce qui est le sens du mot « tempéré » – elle bat de plus en plus rapidement jusqu’à ce que ce soit inacceptable à l’oreille et qu’on ne puisse plus l’identifier comme une tierce. Les tierces majeures du « tempérament égal » d’aujourd’hui sont larges, et ont un battement relativement rapide, mais l’oreille peut en tolérer encore davantage. Les quintes sont aussi « tempérées » de cette façon, mais dans leur cas par raccourcissement de l’intervalle.

Cet enregistrement utilise le tempérament de 1744 découvert dans un traité détaillé de G. A. Sorge (publié à Hambourg) : si les auditeurs lui prêtent une oreille attentive ils pourront apprécier les légères nuances qui distinguent chaque tonalité voisine et qui permettent de mettre en valeur les couleurs spécifiques de chaque pièce. Il faut rappeler le testament du savant et compositeur polonais Lorenz Mizler qui affirmait en 1754 qu’en « accordant le clavecin, [Bach] savait ajuster le tempérament si précisément et correctement que toutes les tonalités rendaient un son élégant et agréable ». On admet aujourd’hui généralement qu’il n’existait pas un « tempérament Bach » unique, et il est tout à fait possible qu’il n’ait adhéré à aucune des méthodes prescrites.

Sous-jacente à l’interprétation des pièces il y a la question de la fusion des styles. Comme bien d’autres, Bach adhérait volontiers à cette mode : on pourrait considérer les « 48 » comme de la musique de fusion par excellence. Les toccatas deviennent des danses, les danses deviennent des airs, et les fugues elles-mêmes peuvent hésiter entre le stile antico et la danse, et se terminer parfois en morceau de bravoure aux allures de fantasia. Dans le baroque tardif cette mode a aussi affecté profondément les styles nationaux : nous pensons en particulier aux qualificatifs que donnait Bach à ses suites « françaises » et à ses concertos « italiens » ; et d’ailleurs les « 48 » sont peut-être aussi le creuset le plus extrême dans lequel se sont fondus le style allemand de l’écriture pour orgue et les styles archaïques de la polyphonie de la Renaissance. À un autre niveau, on admet depuis longtemps que, à la fois comme exemples et comme réussites, les Fugues de ces deux livres font progresser les techniques du contrepoint dans une diversité d’usages et de modulations qui n’ont pas d’antécédents : elles constituent des modèles pour les futurs compositeurs – ou peut-être improvisateurs – de fugues.

Il reste la question de savoir où Bach écrivit ces pièces, et dans quelles circonstances. Nous n’avons pas de raisons de douter de Gerber lorsqu’il affirme que Bach, à l’époque de la compilation du premier livre, ne l’a pas composé au clavier. Ce qu’il écrit ensuite a donné à penser qu’il l’avait peut-être écrit lorsqu’il fut détenu un mois à la prison de Weimar en 1717 : « il écrivit ses « 48 » en un lieu où l’ennui, l’inaction, et l’absence de toute forme d’instrument de musique l’obligeait à s’en remettre à ce passe-temps ». L’idée qu’il en ait composé toutes les pièces en une fois est bien sûr démentie par la présence de certains Préludes dans le livre de W. F. Bach (et il en existe des versions antérieures) ; mais il reste possible que Bach ait vraiment écrit certains des Préludes et Fugues du premier livre au cours d’une seule période, et plus vraisemblablement certains du second livre.

Pourquoi s’est-il lancé dans ce second livre ? C’est une question posée par plusieurs spécialistes de Bach. On a suggéré bien des réponses pertinentes, en nous rappelant que de son vivant le métier de Bach n’était pas mis au-dessus des autres comme il l’est aujourd’hui. Après tout il travaillait pour vivre, dans un contexte où on pouvait mettre un terme à un emploi sans préavis : la concurrence était féroce, et les capacités ne suffisaient pas toujours pour convaincre un employeur. C’était un homme difficile, un maître sévère et un négociateur dur en affaires. Et il avait de plus en plus d’enfants à élever et à entretenir. Aurait-il aussi, peut-être, écrit ce deuxième tome pour contrer la critique de Johann Adolph Scheibe et de quelques autres selon laquelle il écrivait dans un style lourd et démodé ?

L’une des innovations notables du Livre II est le nombre de Préludes écrits en forme binaire, c’est-à-dire en deux parties, chacune avec reprise. On en trouve dix de ce genre alors que le Livre I n’en comporte qu’un. C’était sa façon de se moderniser, de se mettre au goût du jour. Cette structure binaire jusqu’alors largement réservée aux mouvements de danse avait contaminé désormais les pièces de caractère ainsi que les sonates. Ajoutons que le deuxième livre comporte davantage de Préludes basés sur une succession de plusieurs idées musicales, évolution caractéristique de l’écriture musicale qui s’impose de plus en plus vers le milieu du XVIIIe siècle, et dont les sonates de Domenico Scarlatti sont une illustration typique. Ces innovations expliquent pourquoi certains commentateurs ont trouvé le Livre II plus expressif que le premier.

À propos des Fugues du Livre II il faut évoquer Mattheson, rival déclaré qui invitait Bach à lui faire des commentaires sur ses fugues. Bach préféra probablement répondre en musique plutôt qu’en mots, en portant à 48 le nombre de Préludes et Fugues. La diversité des types de fugues – certaines revendiquant clairement l’héritage du stile antico, d’autres plus légères et plus proches des Inventions – n’est pas moindre que dans le Livre I, mais on note une plus grande ingéniosité, en particulier dans la façon dont le matériel propre à la fugue s’intègre aux différentes tonalités.

Une question dont débattent toujours les interprètes est de savoir s’il existe une relation intentionnelle entre les Préludes et les Fugues, en dehors de la question de la tonalité. Les pianistes ont fréquemment basé leurs interprétations sur l’idée que c’était le cas, jouant souvent les Fugues de façon à prolonger l’atmosphère qu’ils donnaient aux Préludes, et peut-être inversement, leur appliquant des concepts souvent romantisés, parfois d’ailleurs avec de beaux résultats. Ce qui est clair c’est que pour Bach, les Fugues n’étaient pas un exercice scolaire mais – tout comme les Préludes – des compositions visant à développer la dextérité de l’interprète au clavier, pour l’habituer à bien jouer des contrepoints complexes.

Les différentes sources du Livre II confirment ce schéma. Il existe des versions plus anciennes de nombreuses pièces, il s’agissait donc en partie d’une compilation plutôt que d’une nouvelle composition. La seconde épouse du compositeur, Anna Magdalena, est l’une des copistes de la principale source du Livre II, désormais conservée à la British Library de Londres et connue sous le nom de London Autograph. Les inconditionnels peuvent se procurer un fac-similé de ce volume, de même que pour le Livre I, et certains spécialistes de Bach ont fait des relevés des ajouts figurant dans les éditions suivantes, de même que des variantes, altérations et ornements ajoutés, en particulier par W. F. Bach. La copie, à cette époque, était une composante importante du processus d’apprentissage, et il semble que beaucoup des élèves de Bach en aient réalisées. L’une d’entre elles, due à son élève Kirnberger, est particulièrement intéressante parce qu’elle donne des indications de doigtés.

Cet enregistrement, sans du tout revendiquer une « authenticité » quelconque (quoi que cela puisse signifier), s’ancre dans une relation profonde avec le clavecin lui-même et avec l’ensemble de l’œuvre pour clavier de Bach, mais aussi profondément dans une intimité avec la musique de l’époque précédente plutôt qu’avec les interprétations postérieures. Quant à savoir si les « 48 » ont été conçus pour le clavecin, c’est déjà un vieux débat. On entend dire parfois que certains Préludes sont mieux adaptés au clavicorde, mais en réalité ils conviennent tous à l’interprétation au clavecin, même si certains interprètes peuvent les aborder de différents points de vue. Bach, après tout, était un maître de la transcription d’un medium à un autre, et pas seulement d’un instrument à l’autre, ni seulement au travers de ses arrangements de musiques d’autres compositeurs. Ce n’est pas parce que le style de certains Préludes fait penser à l’orgue, du fait de quelques « points d’orgue », que Bach les destinait à cet instrument. Par ailleurs, même si l’expressivité particulière de certains Préludes écrits dans des tonalités rares, comme mi bémol mineur ou si bémol mineur par exemple, peut tirer avantageusement parti de techniques comme le Bebung, ce vibrato qui n’est possible que sur le plus intime des instruments, le clavicorde, cela ne veut pas dire que de tels morceaux ne puissent s’adapter facilement aux sonorités et aux subtils décalages et arpégiations qui sont l’essence même de l’interprétation au clavecin. Bien que rien dans les « 48 » n’approche de la virtuosité qu’exigent les Variations Goldberg, et en oubliant l’objectif pédagogique, en tant que témoignage de l’infinie variété des techniques du baroque tardif au clavier ils constituent un tremplin magistral pour les générations suivantes.

Richard Langham Smith  Traduction Joël Surleau

Le clavecin

Clavecin signé Andreas Ruckers, Anvers, 1646
Ravalé par Pascal Taskin, Paris, 1780
Collection Musée de la musique, E. 979.2.1

Étendue actuelle : fa à fa (FF à f3), 61 notes.
Trois rangs de cordes : 2 x 8’, 1 x 4’.
Quatre registres : 2 x 8’, 1 x 4’, un jeu de buffle en 8’.
Deux claviers, registration et accouplement par genouillères.
Jeu de luth manuel, becs des sautereaux en plume et en buffle.
Diapason : la3 (a1) = 415 Hz.

Restauré à la fin du XIXe siècle par Louis Tomasini et en 1972 par Hubert Bédart.
Muni d’un fac-similé de mécanique (registres et sautereaux) par l’atelier Von Nagel en 1990.

Le clavecin d’Andreas Ruckers fut construit à Anvers en 1646. La fabrication de la caisse, ce qui reste de sa structure interne après les différentes transformations subies le confirment. Si l’on peut affirmer qu’à l’origine il s’agissait bien d’un instrument à deux claviers, il paraît difficile d’attribuer ce travail à Andreas ou à son fils deuxième du nom. Du clavecin original (du type « grand transpositeur français »), permettant une étendue chromatique de GG-c3 (sol à do), à l’état actuel remontant à 1780, il convient de distinguer plusieurs étapes dans l’élargissement de la tessiture. Vers 1720, un petit ravalement intervient pour installer dans la largeur de caisse initiale (803 mm) une étendue plus grande FF-c3 (fa à do). Par la suite, en 1756, l’instrument fut à nouveau agrandi dans l’aigu, ce qui fut possible grâce au déplacement de la joue et au changement de sommier, au bénéfice d’un agrandissement de la largeur de caisse à 853 mm. Ce grand ravalement est attribué à François Étienne Blanchet (c. 1695-1761) et donne une étendue de FF-e3 (fa à mi).

En 1780, Pascal Taskin reconstruit entièrement l’instrument. Né en 1723 dans la province de Liège, ce facteur intègre en 1763 l’atelier de François Étienne Blanchet II (c. 1730-1766. Après la mort de son maître, il épouse sa veuve Marie-Geneviève Gobin et reprend l’atelier. Il intègre alors la corporation des facteurs d’instruments en qualité de maître et devient en 1772 « Garde des instruments de musique de la chambre du Roi ».

Rompu à l’opération délicate du ravalement, Taskin restructura entièrement le clavecin d’Andreas Ruckers et rajouta une note à l’aigu pour obtenir cinq octaves pleines FF-f3 (fa à fa). Il ajouta un quatrième rang de sautereaux aux trois existants, qu’il dota de becs en peau de buffle, en opposition aux trois autres jeux montés de plume. Il installa enfin un ensemble de mécaniques mues par des genouillères, permettant de registrer en cours d’interprétation et de créer éventuellement des effets expressifs de diminuendo ou crescendo afin de concurrencer le pianoforte alors en plein essor.

Le son est à l’image du décor qui subit également des transformations au rythme des interventions des différents facteurs. Si la table d’harmonie est peinte dans le style habituel du célèbre atelier anversois, Taskin apporta le style de son temps, piétement Louis XVI à pieds cannelés et rudentés, guirlandes de fleurs dans la boîte des claviers. Il respecta et s’adapta au décor extérieur posé sur fond d’or vers 1720 par un décorateur proche de Bérain qui représenta une somptueuse nature morte sur le dessus du couvercle : fruits, fleurs, cahier de musique, flûte à bec à la française évoquent l’ouïe, l’odorat et le goût. Sur les éclisses, des couples d’enfants musiciens, des colombes évoquent les tendres émotions de l’amour. Des singes quant à eux symbolisent la malice et la complicité. À l’intérieur du couvercle, lui-même élargi en 1756, fut respecté le décor flamand original représentant les muses sur le mont Hélicon, présidées par Apollon, dieu de la musique et de la poésie charmant l’Olympe. Pégase, sur l’ordre de Poséidon, d’un coup de sabot ramène à la raison l’Hélicon, gonflé de plaisir. À l’écoute du concert, il risquait d’atteindre le ciel mais, désormais apaisé, jaillit de ses flancs une source : l’Hippocrène. La présence de Diane et de Daphné est aussi suggérée, car toutes deux sont proches d’Apollon. L’une est sa sœur jumelle, l’autre en fut aimée. Poursuivie, elle implora son père qui la changea en laurier. Les images se reflètent dans des manières opposées : à l’intérieur du clavecin des scènes mythologiques édifiantes et sérieuses, à l’extérieur d’intuitives invitations à la volupté. Tout conduit à l’allégorie des sens : conditionner le bonheur, dans l’amour et la musique.

Michel Robin - Musée de la musique, Paris

Le Musée de la musique

Au cœur de la Cité de la musique à Paris, établissement public dont les missions comprennent la diffusion de concerts et la transmission au public, le Musée de la musique est le lieu où le patrimoine dialogue avec le répertoire, où l’histoire des instruments rencontre les grandes évolutions d’un art universel partagé par toutes les cultures du monde, où la recherche sur les matières et les gestes qui ont donné naissance à ces instruments permet de mieux comprendre la musique qu’ils nous font entendre.

Un Musée de la musique se caractérise de plus en plus par ce que l’on y entend, cette tendance ayant été reprise aujourd’hui par la plupart des musées du genre. Les instruments du Musée en état de jeu sont confiés à des musiciens, donnés en concert ou enregistrés à des fins d’archivage, d’écoute dans le parcours de visite du musée ou de diffusion commerciale.

Tel est le sens du présent enregistrement auquel le Musée de la musique est fier et heureux de participer. Sous les doigts de Kenneth Weiss, le clavecin Ruckers-Taskin de notre collection révèle ainsi un regard inédit sur cette œuvre de référence qu’est le Clavier bien tempéré de J. S. Bach.

Eric de Visscher - Directeur du Musée de la musique, Cité de la musique, Paris

Liste des plages

CD1
Book I, 1722
Preludes & Fugues N°s 1-12, BWV 846-857

1 - 2 N°1 en Ut majeur, BWV 846 - 2’19 & 2’02
3 - 4 N°2 en Ut mineur, BWV 847 - 1’34 & 1’42
5 - 6 N°3 en Ut dièse majeur, BWV 848 - 1’24 & 2’49
7 - 8 N°4 en Ut dièse mineur, BWV 849 - 2’55 & 4’09
9 - 10 N°5 en Ré majeur, BWV 850 - 1’13 & 1’59
11 - 12 N°6 en ré mineur, BWV 851 - 1’18 & 2’29
13 - 14 N°7 en Mi bémol majeur, BWV 852 - 3’48 & 1’43
15 - 16 N°8 en Mi bémol mineur, BWV 853 - 3’08 & 5’14
17 - 18 N°9 en Mi majeur, BWV 854 - 1’30 & 1’21
19 - 20 N°10 en Mi mineur, BWV 855 - 2’17 & 1’16
21 - 22 N°11 en Fa majeur, BWV 856 - 1’11 & 1’34
23 - 24 N°12 en Fa mineur, BWV 857 - 2’08 & 3’49
Total CD 55’06

CD2
Book I, 1722
Preludes & Fugues N°s 13-24, BWV 858-869

1 - 2 N°13 en Fa dièse majeur, BWV 858 - 1’09 & 2’15
3 - 4 N°14 en Fa dièse mineur, BWV 859 - 1’10 & 2’43
5 - 6 N°15 en Sol majeur, BWV 860 - 0’56 & 3’02
7 - 8 N°16 en Sol mineur, BWV 861 - 2’18 & 2’01
9 - 10 N°17 en La bémol majeur, BWV 862 - 1’20 & 2’17
11 - 12 N°18 en Sol dièse mineur, BWV 863 - 1’52 & 2’42
13 - 14 N°19 en La majeur, BWV 864 - 1’12 & 2’29
15 - 16 N°20 en La mineur, BWV 865 - 1’15 & 5’23
17 - 18 N°21 en Si bémol majeur, BWV 866 - 1’21 & 2’00
19 - 20 N°22 en Si bémol mineur, BWV 867 - 2’17 & 3’38
21 - 22 N°23 en Si majeur, BWV 868 - 1’03 & 2’07
23 - 24 N°24 en Si mineur, BWV 869 - 3’59 & 6’26
Total CD 56’10

CD3
Book II, 1742
Preludes & Fugues N°s 1-12, BWV 870-881

1 - 2 N°1 en Ut majeur, BWV 870 - 2’31 & 1’50
3 - 4 N°2 en Ut mineur, BWV 871 - 3’00 & 2’28
5 - 6 N°3 en Ut dièse majeur, BWV 872 - 1’43 & 2’00
7 - 8 N°4 en Ut dièse mineur, BWV 873 - 3’42 & 2’20
9 - 10 N°5 en Ré majeur, BWV 874 - 3’24 & 2’32
11 - 12 N°6 en Ré mineur, BWV 875 - 1’40 & 1’35
13 - 14 N°7 en Mi bémol majeur, BWV 876 - 2’42 & 1’44
15 - 16 N°8 en Ré dièse mineur, BWV 877 - 4’28 & 3’45
17 - 18 N°9 en Mi majeur, BWV 878 - 2’59 & 2’41
19 - 20 N°10 en Mi mineur, BWV 879 - 1’43 & 2’55
21 - 22 N°11 en Fa majeur, BWV 880 - 3’54 & 1’39
23 - 24 N°12 en Fa mineur, BWV 881 - 2’31 & 2’01
Total CD 62’04

CD4
Book II, 1742
Preludes & Fugues N°s 13-24, BWV 882-893

1 - 2 N°13 en Fa dièse majeur, BWV 882- 3’40 & 2’36
3 - 4 N°14 en Fa dièse mineur, BWV 883 - 3’16 & 3’36
5 - 6 N°15 en Sol majeur, BWV 884 - 1’58 & 1’14
7 - 8 N°16 en Sol mineur, BWV 885 - 2’02 & 3’09
9 - 10 N°17 en La bémol majeur, BWV 886 - 4’12 & 2’34
11 - 12 N°18 en Sol dièse mineur, BWV 887 - 2’26 & 4’26
13 - 14 N°19 en La majeur, BWV 888 - 1’58 & 1’32
15 - 16 N°20 en La mineur, BWV 889 - 2’30 & 1’59
17 - 18 N°21 en Si bémol majeur, BWV 890 - 4’14 & 2’40
19 - 20 N°22 en Si bémol mineur, BWV 891 - 3’00 & 4’23
21 - 22 N°23 en Si majeur, BWV 892 - 2’12 & 3’35
23 - 24 N°24 en Si mineur, BWV 893 - 2’18 & 1’53
Total CD 67’35

Commentaires par Kenneth Weiss

Vendredi 18 septembre 2015, nous avons lancé la diffusion en streaming de l'intégrale des 48 Préludes et Fugues interprétée par Kenneth Weiss. Chaque envoi comprend un prélude et fugue extrait de l'enregistrement de 2013 par Kenneth Weiss sur le splendide clavecin Ruckers-Taskin du Musée de la musique à Paris et reste disponible en streaming pendant une semaine. Il est accompagné de son commentaire à propos de l'évolution de sa relation avec cette oeuvre en tant que musicien et son point de vue de claveciniste dans la pratique quotidienne de cette pièce maîtresse qui a façonné sa personnalité musicale et enrichie sa vie.

En introduction Kenneth écrit : "Le Clavier bien tempéré de Bach, si largement connu comme un sommet de la musique classique occidentale, n'est que rarement donné en concert. Ces fascinantes compositions qui ont complètement changé la donne, les bases de notre langage et de notre culture musicale, une partie de notre vocabulaire commun, ne doivent pas être seulement reléguées aux salle d'études, aux concours ou encore aux leçons de solfège."

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